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Un village en guerre (1870)

Merci de respecter ce travail et la mémoire de ma mère, Colette Chopplet-Houdinet, qui en est l'auteur. Ne vendez pas ces informations, citez vos sources si vous utilisez ces documents. Un petit mot pour me faire connaître l'usage ou l'utilisation que vous pourriez en avoir serait aussi le bienvenu.

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Le ballon de la République universelle (19 octobre)

19 octobre 1870
A la fin de la matinée, des têtes se lèvent, curieuses, et des doigts se pointent vers le ciel, du côté du bois du Ravelin : c'est qu'on y distingue un magnifique dirigeable, quadrillé de rouge et noir, comme sortant des nuages. Un ballon, encore un ! Déjà, il y a quelques jours, on en a aperçu un au-dessus de Mézières, dont on ne sait trop ce qu'il est devenu : on dit qu'il est tombé à Gespunsart ou en Belgique...
Quand les gardes nationaux, de faction au Ravelin, le voient commencer sa descente, ils se précipitent pour attraper les cordes. Mais les aéronautes ne sachant à qui ils ont affaire (les uniformes les inquiètent...) préfèrent remonter et jettent alors du lest, une masse de proclamations en allemand (un texte écrit par Victor Hugo engageant les soldats allemands non Prussiens à quitter l'armée !).
Aussitôt emporté rapidement, mais cependant trop bas, le ballon traîne la nacelle dans les arbres qui cassent... On croient à chaque instant que les voyageurs vont être brisés.
Enfin, à 200 mètres de là, il tombe en plein bois et les aéronautes descendent tout heureux, on le devine, de se trouver au milieu de Français. Le conducteur de la nacelle se présente : Louis JOSSEC, matelot de première classe, détaché du fort de Bicêtre (dont l'imagination populaire fera bientôt un officier...). Les passagers, Henri Antoine DUBOST, 26 ans, et Gaston de PRUNIERES, ont peine à rentrer dans le calme : persuadés d'être très près des Prussiens (dont le camp le plus proche est à Boulzicourt), ils demandent à être conduis immédiatement à Rocroi, pour rejoindre Tours, où Léon Gambetta, parti lui aussi en ballon de Paris, s'est installé depuis le 9 octobre.
Mr. RICART, conseiller municipal, offre alors une voiture de sa brasserie et prend la route du Plateau. A peine arrivé à Rocroi, Mr. DUBOST envoie un message au Préfet des Ardennes : "Le Ballon de la République Universelle, portant Antonin DUBOST, secrétaire général de la Préfecture de Police, en mission, et son secrétaire, partis de paris à 9 heures du matin, est descendu à Lonny, entre Mézières et Rocroi, au milieu des bois, sans incident. Paris est héroïque ; il est un exemple pour la France : cette nuit encore, il a repoussé victorieusement les Prussiens... De l'énergie dans les Ardennes ! Vive la République !"
Pendant ce temps, à Lonny, on recueille patriotiquement le ballon, un pauvre ballon, fendu depuis le haut jusqu'en bas ! On le dégage rapidement et on le transporte sur la place de la Mairie, au milieu de l'émoi général : le village vient d'apprendre que les voyageurs se sont échappés de Paris encerclé par l'ennemi, et chacun assaille de questions le marin JOSSEC qui parfois dérouté par l'accent local, répond du mieux qu'il peut :

- Alors ce siège ?
- La capitale est calme
- Est-y des bons moyens de défense au moins ?
- Formidables ! Il y a lieu de croire à une résistance héroïque et à de bons résultats !
- D'où est-ce qu'y sont les Prussiens ?
- Tout ce que je sais, c'est que le 17, avant-hier, l'avant-garde de l'armée de la Loire, 25 à 30 000 hommes, est apparue à Villejuif et il y a eu combat, pas bien loin de Paris... Mais le résultat, je l'ignore !
- Comment ça s'fait-y don' qu'les Prussiens y n'ont mie vue vot'ballon ?
- Impossible ! Avec ce temps couvert et nuageux, nous avons vogué à une très grande hauteur, au point que le sol nous a été longtemps invisible. (1)
- L'voyage s'est-y ben passé tout d'minme ?
- Sans incident… Bien qu'effectué à grande vitesse. Rendez-vous compte : Paris-Lonny en deux heures et vingt minutes ! A un certain moment, vingt minutes ont suffi pour couvrir 35 lieux !
- Mais d'où est-ce don qu'vous étins envolés ?
- Oh, en plein Paris, à la garde d'Orléans. Il y avait un vent plutôt fort, de sud-ouest...
- Comment ça se passe un départ en ballon ?
- On a attaché l'aérostat à un câble, qu'on a laissé filer sur une trentaine de mètres. L'extrémité était fixé en terre. Au moment voulu, on a tranché brusquement la corde, alors le ballon a bondi dans les nuages, à la vitesse d'un projectile !

On regroupe, tout en parlant, le contenu de la nacelle : un nombre considérable d'exemplaires du Journal Officiel (portant la date du même jour !), une cage enfermant six pigeons (appartenant à MM. CUSSIERS et DEROUARD), ainsi que cinq grands sacs de dépêches (305 kg. de cartes et lettres timbrées, oblitérées et collectées dans les différents bureaux de Paris investi) qu'on emporte bientôt sous bonne escorte vers Rocroi afin de les transmettre à leurs destinataires.
Le marin JOSSEC s'apprête lui aussi à prendre le même chemin : il se dit finalement content de son voyage et commence ses adieux, quand arrivent des francs-tireurs, envoyés par le Préfet qui demande que les voyageurs aériens, le ballon et son matériel soient conduits jusqu'à lui. (2)
Et la "République Universelle", un des 68 ballons qui s'échapperont de Paris pendant le siège, fera ainsi sa petite promenade d'honneur, conduit par le fils NOIRET (auquel on remboursera 6 francs plus tard).
Le maire, Mr. HORBETTE, adresse quant à lui une lettre au Courrier des Ardennes pour raconter l'aventure, qui excitera tant l'imagination des journalistes que l'Indépendance Belge écrira : "l'atterrissage a eu lieu à une portée de fusils des campements allemands et les passagers ont réussi à échapper à la poursuite que leur ont donnée aussitôt les Uhlans".

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(1) Louis CHAINTIER : Histoire documentaire et anecdotique des ballons poste du siège de Paris de 1870-71 (in l'Echangiste universel, n°547-3, 8ème année, 15 janvier 1944, p.10)
(2) Les francs-tireurs sont des combattants irréguliers, formés en unités, sous le commandement de chefs élus. Ils menaient des opérations de guerillas sur les arrières des troupes allemandes.

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